La substitution des Canadiens-français par des
immigrants s’est faite à un rythme soutenu de 0.2 à 0.5 % par année avec
un plafond historique d’un demi-pour cent pour les cinq dernières années (figure 3).
Le pic de substitution que l’on observe à la fin des années 90 est dû à
deux données aberrantes: en 1987 et 1989, le Québec a accueilli un nombre
record de résidents non permanents – 18 000 et 28 000 individus respectivement –
ce qui fausse la courbe de tendance. Ainsi, le taux de substitution actuel est
des plus hauts depuis les débuts des années 70.
Figure 3. Taux
de substitution démographique annuel des CFQ par l’arrivée d’immigrants (en
gris) et rapport entre le nombre d’immigrants admis annuellement et la
population canadienne-française (en noir) en pourcentage.
On observe aussi que le taux d’immigration augmente à
travers les années. Ceci semble anodin puisque la population québécoise
augmente elle aussi, suivant approximativement la même tendance. Cependant,
quand on tient compte du fait que la population des CFQ n’a pratiquement pas bougé,
on constate que la quantité de nouveaux arrivants, par rapport à la population
des CFQ, augmente de façon soutenue au cours des années (figure 3). Un
sommet fut atteint en 2013, année pour laquelle l’immigration équivalait à 0.95 %
de la population canadienne-française du Québec. Ainsi, la substitution des CFQ
par les nouveaux arrivants est un phénomène en accélération.
Impact des différents facteurs étudiés
L’analyse de l’impact des facteurs décrits dans la
section de la méthodologie permet de voir leur effet sur les résultats en 2014 (figure
4). Le facteur ayant le plus d’impact dans l’analyse est le taux de rétention
des immigrants dont l’inclusion fait augmenter le poids des CFQ de 2.1 %.
Celui ayant le moins d’impact est la considération des différences de taux de
mortalité dont l’inclusion fait augmenter de 0.6 % le poids des CFQ. La
considération de la différence des taux de fécondité et du métissage abaisse le
poids des CFQ de 1 et 0.9 % respectivement. Lorsque tous ces facteurs sont
considérés, le poids des CFQ augmente de 0.8 % par rapport à une
répartition des composantes de l’accroissement démographique selon le prorata.
Donc, ne pas avoir inclus ces facteurs n’aurait pas eu d’impact significatif
sur l’analyse par effet de hasard. Cependant, tenir compte seulement de certains
facteurs aurait légèrement biaisé le compte. Ainsi, ne pas avoir pris en compte
l’effet de la fécondité et du métissage aurait fait monter le poids des CFQ de
1.9 % alors que ne pas tenir compte de l’âge d’arrivée des immigrants sur
la mortalité et du taux de rétention aurait fait baisser le poids des CFQ de
2.7 %.
Figure 4.
Impact de l’inclusion des facteurs correctifs sur le poids des CFQ en 2014.
Analyse de sensibilité des facteurs calculés
L’analyse de sensibilité permet de sous-évaluer et de surévaluer
chacun des facteurs correctifs dans l’espace des valeurs plausibles, dans le
but d’évaluer l’impact d’une mauvaise estimation de ces valeurs sur le poids
démographique des CFQ en 2014. On a fait varier, à partir
de 1971, le taux de mortalité, le taux de rétention des immigrants, l’indice
synthétique de fécondité des individus nés à l’étranger et la proportion
d’immigrants en couple avec un natif de ±25 %,
±10 %, ±25 % et ±15 % respectivement par rapport au niveau utilisé
pour l’étude. La
figure 5 montre que pour chaque facteur, l’impacte des variations est très
respectables (entre 0.5 % et 1.7 %). En compilant les valeurs les plus
basses et les plus hautes, on obtient les extrêmes de -3.3 % et + 3.9 %
respectivement. Ainsi, il serait raisonnable d’affirmer que les CFQ formeraient
entre 62 % et 66 % de la population québécoise en 2014.
Figure 5.
Impact de la variation des facteurs correctifs sur le poids des CFQ.
Validation des résultats
Les données provenant de la simulation ont été comparées
à quelques études statistiques et démographiques dans le but d’évaluer si les
valeurs générées sont réalistes (langue parlée, religion, nombre d’immigrants).
Comparaison avec la langue parlée à la
maison
Tel que discuté en
introduction, la langue parlée à la maison permet de situer un plafond à la
valeur recherché. En 2006, 81 % des individus résidant au Québec parlent
français à la maison, ainsi le poids des CFQ à une limite supérieure de 81 %.
Dans le présent travail, en 2006, le poids des CFQ est de 68 %, ce qui est
en accord avec la limite linguistique. L’écart entre les CFQ et les
francophones est de 13 %, ce qui est réaliste étant donné le nombre de
locuteurs francophones non Canadien-français (en provenance d’Europe, d’Afrique,
etc.).
Comparaison avec des données
confessionnelles
Selon le tableau 3 du document « Vers une
politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination », on
voit que 86.1 % et 83.4 % des Québécois sont catholiques en 1991 et
2001 respectivement (ministère de l’immigration et des
communautés culturelles 2006). Sachant qu’en
prenant les Québécois catholiques et en leur soustrayant les immigrants
catholiques, on devrait obtenir une valeur proche du poids des CFQ, on peut
donc se servir de ces données à des fins de comparaison. Ainsi, selon ces
données, on arrive à 82 % et 79 % de catholiques au Québec. Le nombre
d’individus n’indiquant aucune appartenance religieuse est négligeable :
3.9 % et 5.8 % pour 1991 et 2001 respectivement. Notre étude estime
que les CFQ sont à 73 % et 70 % pour 1991 et 2001 respectivement. La
différence de 9 % entre la population de CFQ et la population catholique
non immigrée vient probablement des CNF et IDI catholiques (Irlandais, Italiens,
Latinos, etc.).
Comparaison avec le nombre d’immigrés
de 1re génération
Selon les données du recensement de 2006 (Turcotte 2009),
la population d’immigrés est de 851 600 personnes, soit 11.5 % de la
population. Selon l’estimation de notre modèle, les immigrants de première
génération seraient de 805 000 personnes, soit 10.5 % de la population. Une
différence de 1 % est acceptable et est probablement expliquée par les
limites de la précision des facteurs d’ajustement de la mortalité et du taux de
rétention des immigrants (migration interprovinciale). L’analyse se limite à l’année
2006 puisque notre étude ne considère que les immigrants arrivés après 1971,
alors que le recensement inclut ceux d’avant 1971. Donc, à mesure que l’on s’éloigne
de 1971, les proportions d’immigrants calculés convergent vers les valeurs du
recensement pour la proportion de la population immigrée jusqu’à ce que la
proportion des descendants d’immigrants devienne significative.
Section
II : Évolution du poids démographique des Canadiens-français du Québec de
2014 à 2050
Évolution de majoritaire à minoritaire
Le modèle construit aux fins de cette étude prédit que
les CFQ seront minoritaires aux environs de 2035 (figure 6). Les CFQ
représentaient 79 % de la population québécoise en 1971, représentent 63 %
de la population en 2014 et représenteront 49.9 % de la population en 2035,
selon notre modèle. Nous insisterons donc sur l’année 2035 pour la suite de
notre analyse.
Figure 6.
Poids des Canadiens-français (losange), des Canadiens non français (tiret) et
des immigrants et leurs descendants (axe) étant arrivées après 1971.
On observe que les natifs aux racines antérieures à
1971 (Canadien-français et Canadien non français) atteignent un plateau autour
de l’an 2000 pour ensuite amorcer un lent déclin (figure 7). Entre
1971 et 2035, la population native est
restée relativement stable. Les Canadiens-français passent de 4.9 millions en 1971
à 5.1 millions en 2035. Par contre, la population dont les ancêtres sont arrivés
au Québec après 1971 connaît une croissance soutenue, atteignant 3.8 millions
en 2035. L’augmentation de la population québécoise est ainsi due principalement à
l’immigration.
Figure 7.
Démographie québécoise de 1971 à 2050. Population totale (triangle), canadienne-française
(losange), Canadiens non français (tiret), immigrants et leurs descendants
(axe).
Dans la figure 8, on constate l’effet de l’immigration,
du faible taux de natalité québécoise et du métissage sur le poids des CFQ dans
la population québécoise. Premièrement, dans la zone du graphique où le poids
des CFQ est supérieur à 70 %, on observe un plateau en gris foncé et noir qui
correspond aux cohortes d’âges qui n’ont jamais été « bousculées
démographiquement » par les immigrants arrivés après 1971. Deuxièmement, on observe une vague dont le
sommet est à environ 70 % et le creux à environ 55 % en 2015 et qui
est continue de 1971 à 2035; c’est la vague des baby-boomers. Leur nombre et
leur année de naissance font en sorte que l’immigration affecte cette cohorte
de façon négligeable et donc graphiquement imperceptible. La seconde vague,
dont le sommet est à environ 63 % en 2015, s’estompe rapidement; c’est la
vague des enfants de baby-boomers. Cette dernière vague s’estompe rapidement
puisque chaque année des immigrants s’ajoutent à ce groupe d’âge. On observe
aussi que les CFQ sont minoritaires de 0 à 45 ans pour l’an 2035. Finalement,
on observe que le pourcentage des naissances québécoises pour la population des
Canadiens-français diminue fortement entre 2014 et 2035; la pente est très
abrupte. Ce groupe ethnique ne compte que pour 35 % des nouvelles
naissances en 2035, ce qui laisse présager qu’ils deviendront minoritaires
rapidement.
Figure 8. Poids
des Canadiens-français selon l’année et l’âge.
Effet
de l’immigration sur la pyramide des âges
Pyramide des âges pour 1971, 2014 et
2035
La figure 8 ne tient pas compte de la population
totale puisque l’on regarde chaque tranche d’âge individuellement, alors que la
pyramide des âges (figure 9) tient compte de cet aspect. La pyramide
montre que les baby-boomers sont le groupe démographique ayant le plus de poids
en 1971 et en 2014. Cependant, leur poids relatif diminue au cours des années
et en 2035, la mortalité des baby-boomers fait en sorte que leurs enfants
deviennent le groupe avec le plus d’importance. Cependant, le poids des enfants
des boomers, en 2035, est relativement faible, ce qui en fait un groupe minoritaire même
si c’est le plus nombreux. En 1971, la pyramide des populations est très
disproportionnée, ce qui donne un très grand rapport de force démographique aux
boomers, alors qu’en 2035, la pyramide est relativement droite, ce qui fait qu’aucune
cohorte d’âges n’est dominante.
Figure 9. Pyramide des âges pour la population totale du Québec. 1971 (tracé noir, gras), 2014 (tracé gris), 2035 (tracé noir, mince).
Pyramide des âges sans immigration
Sur la figure 10, on observe la pyramide des âges
pour une simulation où il n’y a eu aucune immigration de 1971 à 2035. On
constate que l’apport d’immigrants a eu un impact négligeable sur l’aspect de
la pyramide en comparant les figures 9 et 10. Le seul effet perceptible
est que la cohorte des baby-boomers est supplantée par la cohorte des enfants
de boomers dans le scénario avec immigrants, ce qui n’est pas le cas dans celui
sans immigrants. Certes, la population québécoise a augmenté (figure 7), mais
le vieillissement de la population a suivi son cours. Donc, l’immigration n’a
pas eu l’effet démographique souhaité, c’est-à-dire limiter les effets du
vieillissement tel que souhaité par nos politiques gouvernementales (Gouvernement du Québec, 2015).
Figure 10. Pyramide des âges pour la
population totale du Québec sans considérer l’immigration. 1971 (tracé noir,
gras), 2014 (tracé gris), 2035 (tracé noir, mince).
Pyramide des âges en 2035 en séparant
les CFQ et les IDI
La figure 11 montre la pyramide des âges pour les CFQ
comparativement aux immigrants et enfants d’immigrants pour l’année 2035. Cette figure permet de
constater quelques phénomènes intéressants. En premier lieu, la pente continue
entre 40 et 95 ans est due au fait que l’immigration annuelle a été
relativement continue au fil du temps et la modélisation a suivi cette
tendance. En second lieu, le fait que les immigrants entrent au pays à l’âge moyen de 26 à 30 ans, le
vieillissement annuel de ceux-ci et l’ajout annuel de nouveaux immigrants
engendre une bosse entre 25 et 44 ans. Cette bosse est dans un âge de fécondité
élevé, ce qui explique que la cohorte des naissances atteint le même poids que
celui des 25-45 ans. Le creux de 16 ans s’explique par le faible taux d’immigration
à cet âge, l’augmentation de l’immigration qui maintient la bosse dans 25-45
ans et les naissances élevées. Chez les CFQ, on remarque la tendance inverse pour
les naissances : la base de la pyramide des CFQ s’oppose à celles des
immigrants et descendants d’immigrant. Ce phénomène est la représentation graphique
du fait qu’une faible proportion des CFQ est en âge d’avoir des enfants (26 %
des CFQ sont âgés de 15 à 40 ans) contrairement à la population immigrante (38 %
des IDI sont âgés de 15 à 40 ans).
Figure 11. Pyramide
des âges des Canadiens-français (noir) et des immigrants et leurs descendants (gris)
en 2035.
Cohorte d’âges en 2035 en séparant les
CFQ et les IDI
En 2035, on constate que la population des IDI représente
la majorité de la jeunesse alors que celle des CFQ représente le troisième âge.
La population active est également représentée par ces deux populations. La
figure 12 illustre ce phénomène.
Figure 12. Nombre
de Canadien-français (en noir) et d’immigrants et leurs descendants (en gris) selon
le groupe d’âge en 2035.
Effet
de l’immigration sur le rapport de dépendance
L’analyse du rapport de dépendance (figure 13) permet de voir de façon indirecte l’impact qu’aura le vieillissement de la population sur les finances publiques. On constate que l’arrivée des baby-boomers sur le marché du travail dans les années 70 a eu pour effet de créer un rapport de dépendance approchant 0.40 dans les années 1980, ce qui a forcément été très avantageux pour les finances de l’état. À l’inverse, leur arrivée à l’âge de la retraite à partir de 2010 fait monter le rapport de dépendance (RD) à un sommet historique aux environs de 2030, soit 0.67. Pour que l’immigration règle le problème du vieillissement de la population, il faudrait que cette option ait pour effet de maintenir un rapport RD constant, ce qui n’est pas le cas. Quand on observe la tendance de la courbe qui ne tient pas compte de l’immigration, on constate que l’immigration n’a pas d’impact sur la tendance. L’impact se fait sentir sur la gravité de la tendance, mais pas avant 2028. Ainsi, l’immigration ne permet pas de renverser les effets du vieillissement de la population, puisque la tendance est la même, cependant, elle permet une certaine atténuation. L’effet des politiques d’immigration étant insuffisant, l’autre option permettant de réduire le RD sur le long terme serait de travailler sur le taux de natalité par la mise en place de politique natalistes.
Figure 13.
Rapport de dépendance au Québec en tenant compte de l’immigration (triangle) et
en n’en tenant pas compte (tiret).
Impact
des différents facteurs sur la date où les CFQ deviennent minoritaires
Le modèle prédictif utilisé pour l’étude considère l’effet
du métissage, le taux de rétention des immigrants et fractionne le taux de
fécondité selon le lieu de naissance des individus. Quand on enlève un à un ces
facteurs, on perçoit l’impact de ceux-ci (tableau 1). Ainsi, on observe que
le métissage devance l’année de mise en minorité des CFQ de deux ans, alors que
le taux de rétention recule celui-ci de deux ans. Le fractionnement du taux de
fécondité devance d’un an l’année de mise en minorité des CFQ.
Tableau 1. Effet de l’omission des facteurs sur la date de mise en minorité des Canadiens-français du Québec.
Taux de métissage
|
Taux de rétention des immigrants
|
Fractionnement de la fécondité
|
2037
|
2033
|
2036
|
Il est possible de voir l’impact d’une sous-estimation
ou d’une surestimation de chacun des facteurs en les faisant varier, un seul à
la fois, selon deux scénarios : faible et fort. On a fait varier,
à partir de 2015, le taux d’immigration,
le taux de métissage, le taux de fécondité des CFQ, le taux de fécondité des immigrants
et le taux de rétention des immigrants de ±25 %, ±10 %, ±15 %,
±15 %, et ±10 % respectivement,
par rapport au taux utilisé pour l’étude. La valeur de
sortie étudiée est l’année où les CFQ deviennent minoritaires. Le tableau 2
montre l’impact de la variation des différents facteurs. On y retrouve la
différence absolue entre l’année de mise en minorité des CFQ pour un scénario
fort et faible de chacun des facteurs. Le taux d’immigration est le facteur majeur
influant sur la date où les CFQ deviennent minoritaires. Considérant que la variation des taux de fécondité choisis est plus grande que la variation historique de ceux-ci, que le fractionnement de ces taux de fécondité a un impact très faible sur le modèle, on comprend que le fractionnement du taux de fécondité a un impact total négligeable. L’impact du taux de métissage et du taux de rétention est également faible. En ne considérant que le taux d’immigration pour l’analyse de 2014 à 2050, en éliminant le métissage, en ne tenant pas
compte du taux de rétention des immigrants et en ne fractionnant pas le taux de
fécondité, on trouverait que les CFQ deviennent minoritaires en 2036. Il est à
noter qu’on a tenu compte de ces facteurs pour la génération de données de 1971
à 2014. Ainsi, le taux d’immigration est le seul facteur ayant un impact
significatif pour une analyse sur 20 ans. Une analyse des extrêmes (faible
immigration, haute fécondité des natifs, faible fécondité de ceux nés à l’étranger
et faible taux de rétention et vice versa) montre que dans le pire et dans le
meilleur des cas, la mise en minorité est entre 2029 et 2045 respectivement. L’analyse
des extrêmes nous permet de voir que la plage des possibilités réalistes, c’est-à-dire
environ la moitié de la plage des extrêmes, se situe entre 2032 et 2040.
Tableau 2. Différence entre un scénario fort et faible de chacun des facteurs : variation en années de l’année de mise en minorité des CFQ.
Facteurs
|
Taux
immigration
|
Taux
métissage
|
Fécondité
des natifs
|
Fécondité
immigrants 1e génération
|
Taux
de rétention immigrant
|
Impact
(années)
|
7
|
2
|
2
|
2
|
3
|
En somme, l’analyse des différents facteurs permet de
voir que si notre étude prédit la mise en minorité des CFQ pour 2035, l’analyse
de l’impact des différents facteurs montre que selon les différents scénarios,
les CFQ seront certainement minoritaires entre 2032 et 2040 si l’immigration de
masse persiste.
Comparaison
avec les résultats de Jacques Henripin
Les travaux de Jacques Henripin (Henripin 1986; 1987) ont
montré en 1986 qu’une immigration de masse réduirait les Canadiens-français du
Québec au statut de minorité au cours du 21e siècle. Ces travaux sont
orientés vers deux scénarios principaux basés sur un indice synthétique de
fécondité de 1.6 pour la population native. Dans le premier scénario,
l’immigration permet de stabiliser la population, dans le second, l’immigration
permet de faire croitre la population de 1%. Si l'on observe le graphique 4
de ses travaux de 1987, on constate que le bagage génétique des Québécois nés 1981
correspond à 50 % du bagage génétique des Québécois des années 2050
pour les deux scénarios. Sachant qu’en
1981, les Canadiens-français du Québec (CFQ) constituent 76 % de la population,
on calcule que la mise en minorité des CFQ est obtenue lorsque le bagage
génétique des Québécois des années projetées ne représente que 65 % de
ceux de 1981. Ainsi, la mise en minorité des CFQ se produit entre 2030 et 2040
selon le scénario choisi pour les projections d’Henripin. Ceci correspond aux
résultats des travaux présentés dans cet article. Aussi, Henripin avait projeté qu’en 2081, le
bagage génétique des Québécois de 1981 ne représenterait que 24 % du
bagage des Québécois de 2081 (ou 18 % par rapport au CFQ). À titre
comparatif, notre modèle calcule plutôt une valeur de 32 % (ou 24 %
par rapport au CFQ). La concordance est étonnamment bonne sachant que la
méthodologie d’Henripin est construite de façon à maintenir la population
stable ou avec une croissance d’un pour cent alors que celle décrite dans le
présent article vise à prévoir le futur en utilisant des facteurs calibrés sur
les 44 dernières années et utilisant la documentation publiée depuis les années
soixante-dix.
Conclusion
Ce
travail a permis de constater qu’en 2014, les Canadien-français du Québec (CFQ) constituent 62 %
à 66 % de la population québécoise, alors qu’ils constituaient 79 %
de la population québécoise en 1971. Aussi, l’analyse révèle que le poids des Canadiens-français
du Québec (CFQ) baissait de 0.4 % à 0.5 % annuellement entre 2006 et 2014
avec une tendance s’accélérant. L’analyse permet de constater que les CFQ
deviennent minoritaires au Québec aux environs de 2035. On constate aussi que l’immigration
n’a pas d’impact significatif sur la pyramide des âges, tant en 2014 qu’en
2035. L’étude du rapport de dépendance à montré que l’immigration ne permet pas d’empêcher la tendance à la hausse de celui-ci; l’immigration permet toutefois une atténuation du phénomène, mais à un niveau insuffisant. Ainsi, l’immigration ne permet pas d’atténuer les effets
du vieillissement, tout comme l’avaient déjà démontré les auteurs du Remède imaginaire (Dubreuil et Marois
2011). En résumé, l’analyse démontre que le nombre d’immigrants est si élevé
que les CFQ, qui étaient très largement majoritaires il y a une génération,
deviendront minoritaires dans moins d’une génération.
Méthodologie
Vue d’Ensemble de la Méthode
La population québécoise a été segmentée en trois
grands groupes : Canadiens-français du Québec (CFQ), Canadiens non français
(CNF) dont les ancêtres sont arrivées avant 1971, immigrants et descendants
d’immigrants (IDI) dont la majorité des ancêtres sont arrivées après 1971. Dans
les formules mathématiques utilisées, les CFQ et CNF seront appelés groupe A et
B respectivement. À des fins de calcul, le groupe des IDI est divisé en trois sous-groupes : immigrants de première génération (groupe C), descendants des immigrants de première génération n’ayant pas de parents natifs du Québec (groupe D) et « métis » (groupe E). Les individus dont 50 % des ancêtres proviennent d’un individu du groupe C ou D et d’un natif du groupe
A ou B feront partie du groupe E. Ainsi, d’un point de vue mathématique, on
parlera de cinq groupes et pour l’analyse, on parlera de trois groupes. Les
algorithmes permettront de distribuer l’ensemble des valeurs démographiques
annuelles pour les cinq sous-groupes (A à E) de population énumérés
précédemment. L’analyse, qui se fera sur les trois grands groupes (CFQ, CNF et
IDI), tiendra compte de différents facteurs : la différence entre le taux
de mortalité des immigrants de première génération et la population née au
Québec, le taux de rétention des immigrants, le taux de fécondité et la
naissance d’individus ayant des parents provenant de groupes différents.
L’analyse a comme point de départ l’année 1971 où le poids des CFQ est de 79%, celui des CNF est de 21% et celui des IDI de 0% en accord avec les postulats du précédent paragraphe et avec les travaux de Robert Maheu (Maheu 1973).
La section I des résultats a été générée en distribuant les composantes de l’accroissement démographique de Statistique Canada pour les années 1971 à 2014. La section II des résultats suit le modèle général par cohortes et composantes (Bohnert et al 2015) tel que présenté par l’équation ci-dessous. La méthode, pour les sections I et II, trouve ses spécificités dans le calcul des composantes de l’accroissement et dans la division de la population en cinq groupes.
Logique de calcul
La première partie du travail est basée sur la
construction d’un modèle que nous avons qualifié d’estimatif, fondé sur les données historiques permettant de calculer
avec précision l’évolution démographique pour la période de 1971 à 2014.
Ce modèle sert en premier lieu à donner une image précise de la situation
actuelle et, en second lieu, à valider la fiabilité d’un second modèle. Le
second modèle, appelé modèle prédictif,
permettra de prédire à l’aide de projection l’évolution future du poids démographique des CFQ (voir tableau 3).
Tableau 3. Modèle utilisé selon les années étudiées
1971 à 2014
|
2014 à 2034
|
Modèle estimatif
|
|
Modèle prédictif
|
Entrées dictées par données
réelles
|
Entrées prédictives (projection)
|
Le modèle estimatif (figure 14) utilise les
données réelles. Il utilise comme entrée les composantes de l’accroissement
démographique (immigrants, décès, naissances, émigrants, solde
interprovinciale), les taux de mortalité et de fécondité, le taux de rétention
des immigrants, le taux de métissage et le poids démographique en 1971 des
Canadiens-français, des Canadiens non français et des immigrants arrivés après
1971. Ce modèle utilise les données démographiques de population totale et
n’entre pas en détail dans la démographie par tranche d’âge. La mécanique du
modèle, qui est principalement basée sur la distribution des composantes de
l’augmentation démographique, sera expliquée plus loin. Les sorties du modèle
sont les poids démographiques des trois groupes de population précédemment nommés.
Pour ce modèle, les calculs ont été réalisés avec l’aide du chiffrier Excel.
Le modèle prédictif (figure 14) fonctionne en deux
temps. Premièrement, il utilise les données réelles de population seulement
pour l’année 1971. Pour la plage 1971 à 2014, il utilise l’immigration
annuelle et les taux de fécondité et de mortalité réels. Comparativement au
modèle estimatif, le modèle prédictif utilise les composantes démographiques
décortiquées par tranche d’âge. Par contre, il utilise un facteur correctif pour
l’émigration et le solde interprovincial des natifs. Il simule les décès et les
naissances à l’aide des taux de fécondité et de mortalité. Pour la
plage 2014 à 2050, le taux d’immigration est simulé à l’aide d’une
corrélation basée sur les données historiques. À partir de 2014, les taux de
fécondité et de mortalité sont fixés par rapport aux tendances de 2014.
L’analyse de sensibilité et d’influence des facteurs permettra par la suite de
voir l’influence d’une éventuelle surestimation ou sous-estimation de ces
facteurs. La mécanique du modèle, qui est principalement basée sur la
programmation d’une boucle itérative dans MATLAB, sera expliquée plus loin. Le
modèle prédictif permet ainsi d’obtenir le poids démographique des CFQ, des CNF
et des IDI. Ce modèle permet aussi d’obtenir la pyramide de population et
l’évolution du rapport de dépendance.
Données
utilisées
L’analyse sera basée principalement sur l’utilisation de
la base de données CANSIM de Statistique Canada pour la province de Québec, de
1971 à 2014 (STATISTIQUE CANADA s.d.a; s.d.b; s.d.c; s.d.d). Ces données, triées par année et par tranche d’un
an, comprennent les valeurs suivantes : population totale, naissances,
décès, nombre d’immigrants, émigrants de retour, immigration temporaire,
migration interprovinciale et résidents permanents. La majorité des facteurs
utilisés pour réaliser ce travail, calculés ou utilisés directement, prennent
leur source de Statistique Canada ou de l’Institut de la Statistique du
Québec.
Figure 14.
Diagramme des valeurs d’entrées utilisées par les différents modèles pour générer
les valeurs de sortie.
Mécanique du modèle estimatif
Distribution des composantes de l’accroissement
Distribution des naissances
Les naissances provenant du tableau 051-0004 de CANSIM
sont distribuées parmi les groupes A, B, D et E. Chacun des cinq groupes génère
une fraction des naissances de la population québécoise lui étant propre. Cette
fraction est calculée en tenant compte du poids démographique du groupe ainsi
que de son taux de fécondité.
Le groupe A reçoit le total des naissances de l’année
multipliée par la fraction des naissances que ce groupe génère, moins les
naissances issues du métissage. La fraction issue du métissage est égale à la
fraction des naissances du groupe C multiplié par la proportion des immigrants
en couple métissant, multiplié par le
poids de la catégorie A par rapport aux catégories pouvant subir le métissage.
Pour le groupe B, les naissances sont distribuées de la
même façon que pour le groupe A.
Pour le groupe C, aucune naissance n’y est distribuée
puisque les enfants nés de ce groupe sont des immigrants de deuxième génération
qui sont distribués dans les groupes D et E.
Le groupe D, étant les immigrants de deuxième
génération non métissés, récolte les naissances de son groupe et celles du
groupe C provenant de couples non métissés.
Le groupe E, représentant les immigrants de deuxième
génération métissés, récolte les naissances de son groupe et celles du groupe C
provenant de couples mixtes.
Distribution des décès
Les décès provenant du tableau 051-0004 de CANSIM sont
distribués entre les groupes. Similairement au calcul des naissances, chacun
des cinq groupes génère une fraction des décès de la population québécoise lui
étant propre. Cette fraction est calculée en tenant compte du poids
démographique du groupe ainsi que du taux de mortalité de celui-ci.
Immigration et solde de résidents non permanents
Le groupe C récolte l’entièreté des valeurs du
tableau 051-001 de CANSIM concernant l’immigration et le solde des
résidents non permanents.
Émigrants, émigrants de retour, écart
résiduel
Chacun des cinq groupes se répartit ces composantes du
tableau 051-0004 de CANSIM au prorata de leur population respective.
Solde de la migration interprovinciale
Nous considérons que les groupes A, B, D et E sont
affectés au prorata de leur population par rapport à cette composante.
Cependant, le groupe C est proportionnellement plus affecté que les autres groupes.
Ainsi, le solde de la migration interprovinciale du groupe C est calculé en
considérant le taux de rétention des immigrants décrit plus loin.
Calcul des facteurs du modèle estimatif
Calcul des taux de mortalité
Nous supposerons que l’espérance de vie des immigrants
est équivalente à celle des individus nés au Québec. En réalité, leur espérance
de vie serait supérieure à celle des Québécois, à cause d'un effet de sélection
(Bourbeau 2002).
Le taux de mortalité des immigrants de 1re
génération (groupe C) doit être modifié afin de tenir compte de l’âge d’arrivée
des immigrants puisque le modèle estimatif ne tient pas compte de l’âge des
individus comparativement au modèle prédictif. Ainsi, les taux de mortalité
présentés plus bas diffèrent entre les groupes nés au Québec et les immigrants
de première génération à cause de cette correction mathématique du modèle
estimatif.
Les taux de mortalité et l’âge d’arrivée des immigrants
sont obtenus des banques CANSIM (STATISTIQUE
CANADA s.d.b; s.d.d).
Taux de rétention des immigrants
Le taux de rétention des immigrants ne peut être
négligé puisque plusieurs immigrants quittent la province après avoir immigré
au Québec. Pour le calcul du taux de rétention des immigrants, nous considérons
les immigrants dont la première destination est le Québec, nous soustrairons
ceux qui quittent la province et nous ajouterons ceux dont la première
destination est une autre province, mais qui s’installent finalement au Québec.
Ainsi, le taux de rétention que nous considérons est un taux de rétention corrigé par rapport à la définition du taux de
rétention de Statistique Canada. Nous utiliserons une étude canadienne sur la
mobilité provinciale de 1991 à 2006 (Myers 2010) pour calculer ce taux.
Taux de fécondité
Les taux de fécondité utilisés pour les individus nés
au Canada et ceux nés à l’étranger proviennent du rapport sur l’état de la
population du Canada de 2002 (Bélanger 2002). Le taux de fécondité fluctue de 1976 à 2001. Pour ces
travaux, nous utiliserons la moyenne des taux de fécondité. Aussi, l’indice de
fécondité des femmes nées d’immigrant est légèrement inférieur à celui des
femmes nées au Canada (Street 2009). Nous considérons ainsi le taux de natalité
des femmes nées au Québec, des femmes nées à l’étranger et des femmes ayant un
ou deux parents immigrants.
Le « métissage »
L’étude ci-présente s’intéresse à une définition
précise des Canadiens-français du Québec. Comme définis en introduction, les
Européens autres que français contribuent déjà pour 2.4 % du patrimoine
génétique des CFQ et les Autochtones, pour 1.5 %. Nous admettons ainsi un
certain échange entre les peuples déjà présents. Nous ne considérons pas le
métissage entre les peuples déjà établis au Canada avant 1971. Par contre, nous considérons les enfants issus d’un couple ayant un parent né au Québec et un parent né à l’étranger comme métisse, peu importe l’origine ethnique. Au sens plus large, nous avons considéré comme métis, les individus provenant de couple formé par un CFQ ou CNF avec un IDI. Notre définition de métis est donc purement synthétique et ne doit pas être confondue avec la définition courante.
Calcul de la proportion des immigrants
en couple métissant
Pour cet aspect, le facteur de calcul dont nous avons
besoin est la proportion d’immigrants en couple avec un individu né au Canada. Ce
facteur est calculé à l’aide du tableau de répartition des naissances selon le
lieu de naissance des parents (Street 2009).
Facteurs calculés
L’ensemble des facteurs qui ont été calculés est résumé
au tableau 4.
Tableau 4. Facteurs utilisés pour le modèle estimatif.
Facteurs
|
Valeur
|
Unités
|
Taux de mortalité
(nés au Canada)
|
7.64
|
Morts par 1000 habitants
|
Taux de mortalité corrigé :
nés à l’étranger
|
10.46
|
Morts par 1000 habitants
|
Fécondité : nés au Canada
|
1.50
|
Enfants par femme
|
Fécondité : nés à l’étranger
|
2.01
|
Enfants par femme
|
Fécondité :
immigrant 2e génération
|
1.28
|
Enfants par femme
|
Fécondité :
un parent né à l’étranger
|
1.25
|
Enfants par femme
|
Taux de rétention des
immigrants corrigé
|
0.872
|
Fractionnaire
|
Proportion d’immigrants en
couple métissant
|
0.282
|
Fractionnaire
|
Analyse de sensibilité
L’analyse de sensibilité consiste à faire varier chacun
des facteurs dans le but d’observer si une sous-estimation ou surestimation de
ceux-ci a un impact significatif sur les résultats de l’étude. Le pourcentage
de variation utilisé pour les facteurs a été sélectionné de manière à être
suffisamment large pour couvrir de grossières erreurs d’estimation. La
variation de chacun des facteurs est présentée au tableau 5.
Tableau 5. Variation des facteurs pour l’analyse de sensibilité du modèle estimatif.
Taux de mortalité immigrant
(taux par 1000 habitants)
|
Taux de rétention
des immigrants
|
Neutre :
10.5
-25 % :
7.8
+25 % :
13.1
|
Neutre :
87 %
-10 % :
77 %
+10 % :
97 %
|
Indice synthétique de fécondité — nés à l’étranger
(enfants par femme)
|
Immigrant en couple métissant
|
Neutre :
2.01
-25 % :
1.51
+25 % :
2.52
|
Neutre :
28 %
-15 % :
13 %
+15 % :
43 %
|
Mécanique du modèle prédictif
Algorithme général
Le point de départ de l’algorithme est la population de
1971 par tranche d’âge d’un an (STATISTIQUE CANADA s.d.a). L’immigration de 1971 à 2014 par tranche d’un an est
tirée de CANSIM (STATISTIQUE CANADA s.d.d), alors que l’immigration de 2014 à 2050 est projetée.
Le modèle prédictif est un modèle basé sur un algorithme de calcul itératif
produit dans la boucle d’un script MATLAB. La forme générale du calcul
itératif, sans rentrer dans les spécificités, se fait comme suit pour
chaque année :
- On ajoute les naissances de l’année
d’avant à l’âge un de l’année en cours. Le calcul des naissances de l’année
d’avant consiste à multiplier chaque tranche d’âge (tranche d’un an) de la
population de l’année précédente par la fécondité qui est reliée à cet âge.
- Pour chaque tranche d’âge de l’année en
cours, à partir de deux ans, on ajoute la population de l’an dernier
correspondant à cette tranche d’âge, c’est-à-dire la même tranche d’âge un an
plus jeune.
- La population de chaque tranche d’âge
(tranche d’un an) est multipliée par un facteur spécifique qui est lié à la
mortalité à cet âge. La population restante est celle qui a survécu.
- Ensuite, à chaque tranche d’âge on ajoute
les immigrants qui arrivent pour cette tranche d’âge.
- Finalement, on multiplie chaque tranche
d’âge par un facteur considérant l’émigration, la migration interprovinciale et
le retour d’émigrant.
- On passe à l’année suivante.
Les calculs effectués selon l’algorithme sont
principalement basés sur du calcul vectoriel et matriciel.
Spécificités pour le calcul des sous-groupes
Pour le groupe A, B et D, on déduit des naissances les
individus touchés par le métissage. Pareillement, dans ces
groupes on rajoutera les naissances provenant d’un métis et d’un natif. Pour le
groupe C, la seule source de croissance démographique est l’immigration. Pour
le groupe E, en plus de la croissance intrinsèque de ce groupe, cette
sous-population est augmentée par le « métissage, mais
diminuée aussi par le démétissage. Le métissage et le démétissage seront décrits plus loin.
Calculs des composantes de l’accroissement
Calcul des naissances
Le nombre de naissances est obtenu pour chaque
sous-groupe de population en multipliant cette population pour chaque tranche
d’âge par son taux de fécondité spécifique.
Au lieu de distribuer les naissances de l’année dans
chaque sous-groupe comme pour le modèle estimatif, le modèle prédictif
considère le taux de fécondité spécifique à l’âge des individus et fait ainsi
le calcul individu par individu. La fécondité spécifique à l’âge est aussi
influencée par l’indice de fécondité de l’époque. Ainsi, le nombre de naissances
est influencé par la pyramide des âges et l’indice de fécondité de l’année pour
lequel les naissances sont calculées. L’algorithme calcule ainsi la natalité
pour chaque tranche d’âge, pour chaque année.
Pour les groupes nés au Québec, soit les groupes A,B, D
et E, les indices de fécondité de 1971 à 2000 sont tirés des données de l’INRS
(Street 2009), les indices de 2001 à 2006 sont tirés du Bilan démographique de
2012 (Institut de la statistique du Québec 2012) et les indices de 2007 à 2014 sont tirée de Statistique
Québec (Institut de la statistique du Québec 2015a). Dans le cas des immigrants (groupe C), les indices
de fécondité de 1971 à 2000 sont tirés de l’INRS (Street 2009) et pour les
années 2001 à 2014, la moyenne des années antérieures a été utilisée. Pour
la projection au-delà de 2014, l’indice synthétique utilisé pour les groupes A,
B, D et E est de 1.6, soit une moyenne des dernières années. Pour le groupe C,
l’indice utilisé est 2.0, soit une moyenne historique qui fluctue très peu.
L’analyse de sensibilité permettra de voir l’influence d’une surestimation ou d’une
sous-estimation de ce facteur.
Calcul des décès
Le nombre de décès est obtenu pour chaque sous-groupe
de population en multipliant cette population pour chaque tranche d’âge par son
taux de mortalité spécifique. Le taux de mortalité est spécifique à l’âge des
individus et à l’année en cours. L’algorithme calcule ainsi la mortalité pour
chaque tranche d’âge, pour chaque année.
Les taux de mortalité selon l’âge et selon l’année sont
calculés en utilisant les données de CANSIM (STATISTIQUE
CANADA s.d.a; s.d.b). Le taux de mortalité
calculé est le même pour les cinq groupes de population. Pour la projection
au-delà de 2014, le taux de mortalité est le même que pour 2014. L’effet d’une
baisse ou d’une augmentation de la mortalité devrait être négligeable sur le
résultat final.
Calcul du « métissage »
Comme décrit dans la section précédente (mécanique du
modèle estimatif), un sous-groupe artificiel a été créé pour tenir compte de
l’effet du métissage dans les calculs. Pour tenir compte de cet effet pour les
groupes A, B et D, on soustrait du nombre de naissances le nombre de métis.
Le nombre de métis est obtenu par la multiplication du
nombre de naissances du groupe C et du groupe D par la proportion d’immigrés en
couple dits métissant. Comme décrit précédemment, le calcul de la
proportion des immigrants en couple métissant calculé à
l’aide des statistiques de 1980 à 2006 (Street 2009).
On enlève les métis des naissances des groupes A et B
au prorata de leurs naissances. Celles soustraites du groupe D équivalent
à la somme retirée du groupe A et B. Pareillement, les naissances de métis du groupe E équivaut aux naissances retirées du groupe A, B et D par métissage.
En analysant les données de la littérature, on constate
que la proportion des immigrants en couple métissant semble diminuer avec les années (figure 15). Ceci pourrait être dû à
l’effet de concentration des immigrations dans certains quartiers. En effet, un
groupe ethnique a plus tendance à former des couples mixtes lorsque son groupe
est faiblement représenté dans une zone géographique donnée, alors que le taux
de couples mixtes chez ce même groupe diminue lorsque son poids démographique
augmente localement (Milan 2010). Ainsi,
l’algorithme applique un facteur de métissage fluctuant entre 1971 et 2014 en
se basant sur les variations observées dans la littérature représentée à la
figure 15. Pour la projection des
données à partir de 2014, nous utiliserons la valeur plancher des dernières
années, soit 20 %, comme facteur de métissage.
Figure 15.
Proportion des immigrants de première génération en couple avec un individu né
au Québec.
À des fins de calculs, il a été décidé qu’un individu
dont 75 % des ancêtres sont arrivés au Québec avant 1971 n’entre pas dans
la catégorie des métis. Le démétissage est calculé en
posant l’hypothèse qu’un métis forme un couple avec un natif ou avec un
immigrant avec une chance égale au prorata du poids démographique de ces
groupes. Ainsi, puisque nous avons considéré qu’un individu dont 75 % des
ancêtres sont arrivés avant 1971 n’entre pas dans la catégorie des métis, nous
retournons cet individu dans la catégorie A, B ou D. Ainsi, les groupes A, B et
D sont gagnants dans cette correction mathématique, alors que le groupe E y est
perdant.
Ajustement par rapport à l’émigration,
le retour des émigrants et la migration interprovinciale
Pour tous les groupes, on multiplie la population par
un facteur correctif qui inclut l’émigration, le retour d’émigrant et la
migration interprovinciale. Ce facteur est calculé en moyennant entre 1971 et
2014 les rapports entre l’émigration, le retour d’émigration et la migration
interprovinciale par rapport à la population provenant des données de CANSIM.
Pour le groupe C, on ne considère pas la migration
interprovinciale dans le facteur de correction. Pour ce groupe, on considère le
taux de rétention des immigrants au Québec, qui est de 87 % (Myers 2010),
en enlevant 13 % des immigrants annuels du calcul. Pour la projection à
partir de 2014, nous conserverons ce 87 % que nous ferons varier dans
l’analyse de sensibilité.
Projection de l’afflux d’immigrant à partir
de 2014
Certaines publications présentent des projections en
montrant des scénarios faibles, moyens et forts qui utilisent une quantité
absolue d’immigrants annuels (Institut de la statistique du Québec
2014), alors d’autres utilisent un taux proportionnel
(Statistique Canada 2010). Pour la population québécoise, les données
historiques confirment la tendance proportionnelle (figure 16).
Figure 16.
Immigration annuelle en fonction de la population québécoise. Immigration réelle
(ligne pointillée) et corrélation linéaire (ligne continue).
En effet, l’immigration annuelle de 1971 à 2014 est
corrélée avec la population totale de la province avec un coefficient de
détermination de 0.67. Ainsi, au lieu de choisir un taux d’immigration
arbitraire, le taux d’immigration a été calculé en fonction de la population
totale québécoise en utilisant cette corrélation.
Dans le modèle prédictif, l’immigration est distribuée
par tranche d’âge. La fraction du total des immigrants pour chaque tranche
d’âge est calculée à partir des données historiques de CANSIM (STATISTIQUE
CANADA s.d.d).
Analyse de sensibilité
L’analyse de sensibilité pour le modèle prédictif s’est
faite sur l’intervalle 2014 à 2050. La variation de chacun des facteurs
est présentée au tableau 6. Le niveau de
variation choisi pour le taux d’immigration est basé sur les variations du taux
d’immigration des années antérieures; cette variation est de 28 %. La
variation des taux de fécondité utilisés ici est beaucoup plus élevée que les
variations historiques, ce qui permet de mieux apprécier cet effet. Historiquement,
ces variations étaient de 7 % et 3 % respectivement pour les natifs
et les immigrants de 1re génération. Dans le cas du taux de métissage et du
taux de rétention, le niveau de variation est basé sur un taux raisonnable
étant donné le manque de données historiques permettant de proposer une valeur.
La valeur de sortie étudiée est l’année où les CFQ deviennent minoritaires.
Tableau 6. Variation des facteurs pour l’analyse de sensibilité du modèle prédictif.
Indice synthétique de
fécondité
— nés au Québec
(enfants par femme)
|
Taux de rétention
des immigrants
|
Neutre : 1.6
-25 % : 1.2
+25 % : 2
|
Neutre : 87 %
-10 % : 77 %
+10 % : 97 %
|
Indice synthétique de
fécondité
— nés à l’étranger
(enfants par femme)
|
Immigrant en couple métissant
|
Neutre : 2.01
-25 % : 1.51
+25 % : 2.52
|
Neutre : 28 %
-15 % : 13 %
+15 % : 43 %
|
Immigration annuelle
|
Neutre : Voir corrélation
-25 % : 0.75*Corrélation
+25 % : 1.25*Corrélation
|
Calcul du rapport de dépendance
Le rapport de dépendance représente la
portion de la population dépendante, enfants et retraités, par rapport à celle
qui est en âge de travailler (Chawla 1990). L’inverse de ce rapport donne le nombre de travailleurs
par personne dépendante.
Comparaison des modèles
Le modèle estimatif utilisé pour étudier l’évolution
des CFQ de 1971 à 2014 et le modèle prédictif utilisé pour les projections de
2015 à 2050 sont construits différemment. La force de l’algorithme du modèle
estimatif est qu’il est plus précis que le modèle prédictif pour les années où
nous possédons des données. Cependant, le modèle estimatif qui a été construit
ne permet pas de générer des données pour les années futures, contrairement à
l’algorithme du modèle prédictif. Le modèle estimatif sera précis quant aux
valeurs absolues (population totale), car il distribue directement les
composantes démographiques de CANSIM. À l’inverse, le modèle prédictif sera
précis pour les valeurs relatives (proportion des CFQ dans la population), car
il intègre l’effet de l’âge des individus. Si l'on compare ces modèles, on constate
que, selon le modèle estimatif, il y a 64.4 % de CFQ en 2014, alors que le
modèle prédictif nous dit qu’il y en a 62.5 %. La première partie de la
section résultats (1971 à 2014) a été présentée avec les résultats du modèle
estimatif, alors que la seconde partie a été présentée à l’aide des résultats du
modèle prédictif.
RÉFÉRENCES
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Nora. Chagnon, Jonathan. Coulombe, Simon. Dion, Patrice et Laurent
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cohortes et composantes de Statistique Canada,
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hypothèse, Statistique Canada, ISBN 978-0-660-21869-4
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Street, Maria
Constanza. 2009. La fécondité des femmes immigrantes (1980-2006) : une
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scientifique, Centre Urbanisation Culture Société, mars 2009
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